mardi 13 novembre 2018
Lettre n°17 – Connaissez-vous la Paris Games Week ?
La plupart des jeunes savent probablement
de quoi il s’agit, et devraient s’empresser d’instruire leurs parents ou leur
professeur sur le sujet, à la simple lecture de ce titre insolite.
Pour ma part, il y a seulement un
mois, je n’avais jamais entendu parler de la Paris Games Week (PGW).
J’en ai fait personnellement la découverte à la fin du mois d’octobre, et je
dois dire que cet événement francilien a été pour moi comme une révélation, qui
a fait tomber quelques idées reçues…
Pour le profane, que peut donc
signifier ce barbarisme anglophone ? Le mot « games » nous met sur la voie. La PGW n’est rien moins que le 3ème
salon mondial des amateurs de jeux vidéos, après le Taipei Game Show en Chine et la Gamescom
de Cologne en Allemagne. L’édition parisienne a accueilli cette année 316.000
visiteurs… en 5 jours !
Il suffisait de regarder ces
jeunes enjoués sortir des bouches de métro par milliers et se précipiter les
premiers vers les guichets, allongeant les interminables files d’attente avant
de s’engouffrer irrésistiblement vers le salon de leurs rêves, pour avoir envie
de partager ce moment avec eux.
A l’intérieur, les décibels vous
déchirent d’abord les oreilles. Puis, on s’y fait, un peu comme on s’accommode
de l’obscurité à la lumière. Alors, vous déambulez dans le salon-cathédrale des
80.000 m² sans en faire jamais vraiment le tour. Chacun des presque 200
exposants déploie son univers de musique, de lumière, de scintillements et,
surtout, de jeux, car c’est pour cela que la plupart des jeunes ont fait le
déplacement, venus de tous horizons. La clientèle, cosmopolite, bigarrée, et
parfois même excentrique, n’a aucun complexe à arborer la tenue, l’armure ou la
panoplie de ses héros préférés. On pose à leurs côtés, le temps d’une photo,
d’un cliché.
Ici, on se livre à des
compétitions géantes, animées de commentateurs dignes du Stade de France. Là,
garçons et filles de tous âges dansent, libérés de toute entrave, vacances de
la Toussaint obligent… c’est une foule pacifique aux performances olympiques
qui se mesure aux quatre coins du salon. Courses de voitures, combat d’adversaires
tous aussi monstrueux et imaginaires les uns que les autres, insurmontables
défis à relever dans la vraie vie. D’une apparence faussement nonchalante, les
jeunes donnent tout ce qu’ils ont, une fois la manette de jeu entres les mains.
Pour les séniors, entendez par là
les plus de 35 ans, on retrouve les consoles de jeux d’antan, désormais rangées
au rayon des collectors. Bref, il y en a pour tous les goûts et… pour tous les
âges (ou presque), le tout dans une ambiance bon enfant.
Voilà qui m’a fait réfléchir…
A l’heure où les jeux vidéos
gagnent un terrain impressionnant, générant chaque année plus de 100 milliards de
dollars de recettes au niveau mondial (soit davantage que le cinéma et la
musique réunis), des doutes émergent sur la possibilité d’une société
décadente, sinon déclinante.
J’ai moi-même, à plusieurs
reprises dans ces lettres, pointé les risques d’une utilisation excessive ou
déraisonnée des jeux vidéos, notamment lorsque ceux-ci entrent en concurrence
avec les heures de sommeil ou le temps que tout adolescent devrait consacrer à
son travail scolaire, à sa vie familiale et sociale ou à ses autres activités.
L’épanouissement d’un être ne devrait jamais pouvoir se réduire à un seul
centre d’intérêt. Tout comme nous sommes omnivores, c’est-à-dire que notre
organisme réclame une alimentation variée pour subsister, notre psychisme, pour
ne pas dire notre biologie humaine, a besoin de sollicitations sensorielles,
sensitives et intellectuelles diversifiées. Le jeu vidéo, pas plus d’ailleurs
que la pratique du foot ou d’un instrument de musique, ne constitue en soi une
panacée. Il convient donc de trouver l’équilibre en toutes choses.
Je m’insurge ici contre ceux qui
accusent les jeux vidéos de tous les maux, dont ceux de couper les jeunes de la
société et de faire d’eux des personnes violentes. A l’heure où la communauté
internationale vient de commémorer le centenaire de la fin de la Grande Guerre,
ses presque vingt millions de morts, et bien davantage encore de blessés et
d’amputés à vie, on se rappellera que n’existaient à l’époque ni les films d’horreur
ni les jeux violents.
Quant à Jack l’éventreur, il commit les pires atrocités en 1888, à l’époque
où le monde moderne se résumait à la locomotive à vapeur et au balbutiement de
la photographie. Le tueur en série de Whitechapel n’avait jamais joué aux jeux
vidéos ! Aussi loin que l’on remonte dans l’histoire des civilisations, la
barbarie, la torture ont été au rendez-vous des hommes. Jésus-christ n’a-t-il
pas été crucifié ? Et Jeanne d’Arc brûlée vive, tandis que ses bourreaux faisaient
écarter le brasier, après qu’elle eut succombé, pour contempler les chairs
rouges et noircies de la pucelle d’Orléans, âgée de dix-neuf ans ? Alors
non, le jeu vidéo n’est pas la racine du mal qui hante le monde.
Les jeunes gamers sont très conscients du regard que portent les adultes sur
leurs jeux, raison pour laquelle c’est souvent en cachette, pour ne pas dire avec
une certaine honte, qu’ils pratiquent leurs passions, n’osant jamais en parler
aux non-initiés, et donc à leurs parents en premier, de peur d’être mal jugés.
Aussi, je vous invite, parents, à vous asseoir dans un bon fauteuil, près de
votre enfant, et à le regarder jouer. Ne vous laissez pas impressionnés par les
monstres à tuer ou par la brutalité apparente. Prenez le temps de comprendre le
défi à relever, et suivez la progression du personnage qui se confond assez
souvent avec la personnalité du joueur. Sans trop vouloir vous immiscer dans sa
sphère de jeux, surtout si votre enfant est déjà grand, intéressez-vous à ce
qu’il fait et, si vous osez, demandez-lui de vous initier. Vous vous demanderez
alors comment il fait, et découvrirez chez lui plus d’un talent caché.
Dans les jeux les plus élaborés, car tous ne se valent pas, vous apprécierez la richesse des graphismes, et la grande qualité musicale, souvent symphonique, qui accompagne les péripéties du héros.Le jeu vidéo est bel et bien un produit artistique. Il est la somme des plus grands concepteurs mondiaux, en matière de créativité et d’innovation technologique. La concurrence est démentielle, et complètement mondialisée. Alors,dire que le gamer est coupé du monde relève de la caricature. C’est même une grossière erreur. N’en doutons pas, les jeunes sont reliés au monde, mais d’une autre manière que celle que nous avons connue. A nous de percevoir cela, et de les accompagner d’une façon qui les rejoigne, et non qui les culpabilise.
Pas d’obscurantisme sur la jeunesse !
Il n’est rien de plus affligeant
pour un jeune que de faire quoi que ce soit avec le sentiment de faire mal. Apprenons-lui
plutôt à gérer et à diversifier ses activités. Il est vrai que le jeu vidéo
peut facilement rendre accro, agissant directement sur les neurones, mais il ne
saurait être banni ni même être mis sur un même niveau d’addiction que les
substances chimiques ou toxiques que sont les vraies drogues. A ce propos, on
notera que le gamer ne consomme
généralement ni alcool ni produit stupéfiant.
En cette Paris Games Week 2018, j’ai vu des jeunes heureux. Et s’ils sont si
nombreux à se mobiliser pour de tels événements, c’est précisément pour dire
qu’ils ne sont pas coupés du monde et qu’ils ont besoin de rencontrer d’autres
jeunes pour « communier » ensemble, dans l’humain. Voilà ce que j’ai vécu
et que j’ai tenu à vous partager.
Alors, pas de jugement hâtif.
Toujours connaître, comprendre, accompagner.
Telle est notre première vocation
d’éducateur.
Thierry Fournier