N° 28 : « Attention au fil ! »

jeudi 1 septembre 2022

N° 28 : Message de rentrée de Thierry Fournier « Attention au fil ! »

Nous sommes en janvier 1917 sur le front de la Somme. Des hommes avancent péniblement dans la boue des tranchées.

Une voix avertit « Attention au fil ! ».  

Dans le roman de Sébastien Japrisot, Un long dimanche de fiançailles, ce fil n’est pas seulement celui du téléphone de campagne où viennent s’abattre les ordres du commandement, il incarne aussi, pour Mathilde, la jeune héroïne, le lien qu’elle s’attache à repriser sans cesse pour comprendre ce qui est advenu à son fiancé qui n’est pas rentré de la guerre, et l’ardeur qu’elle met à l’espérer vivant.

En cela, et tout au long de sa quête, le fil de Mathilde sera son Espérance, une Espérance contre vents et marées.

Plus près de nous, les lignes de combat, aux portes de l’Europe, nous placent devant l’implacable réalité de la guerre et des séparations forcées, avec ces trains bondés qui s’en reviennent à moitié vides, laissant sur le quai des parents, des épouses, des enfants… le cœur inconsolable et brisé.

« Attention au fil ! »

Dans nos vies et nos missions respectives, dans un pays (encore) en paix, quel peut être ce fil ?

Est-ce le fil sur lequel il me faut marcher, au risque de tomber, tel un funambule, dans un exercice d’équilibre insensé ?

Est-ce le « fil d’Ariane » qui permet de retrouver mon chemin, même dans les plus épaisses ténèbres ?

Mon fil est-il fait de laine, de nylon, de soie ou d’acier ?

Dans notre société « dématérialisée et sans contact », nous pouvons avoir l’impression, parfois, de ne plus trouver notre chemin et de nous égarer, bref de perdre le fil. Le risque est grand alors de nous éloigner les uns des autres, alors même que les différents contextes que nous traversons (épidémiques, énergétiques, inflationnistes, géopolitiques, climatiques) ne nous ont jamais rendu aussi proches, tous attachés à la même pelote planétaire, dans un espace délibérément globalisé.

« Attention au fil ! »

En temps de guerre, le fil est souvent « barbelé » et peut infliger de profondes blessures à quiconque cherche à s’aventurer au-delà de ses frontières.

« Attention au fil ! »

Aucun fil dont nous sommes faits ne peut résister à la cassure, à la brisure. Et lorsqu’il se rompt, il se renoue ou se recoud difficilement. Parfois même, cela s’avère impossible.

Ne pas rompre le fil impose donc d’abord de reconnaître son existence, celle de notre matérialité, de notre corporéité existentielle. Oui, même fragile, ténu, imperceptible, le fil est bien là, sous nos pieds. Prenons garde à ne pas piétiner le fil natal, ombilical, tant il est vrai que la vie ne tient toujours qu’à un fil, et pas seulement quand on croit tout perdu.

Alors, au milieu des tourments et des incertitudes de nos vies, quel peut être le fil à suivre ?

Au nom de l’œuvre d’éducation qui nous anime, et qui est le cœur battant de notre mission, notre « fil rouge » sera, comme pour Mathilde, celui de l’Espérance, non pas dans une forme d’enchantement effréné, naïf ou béat, mais au sens de la définition même de Georges Bernanos : « L’Espérance, c’est le désespoir surmonté ». Un effort donc incommensurable, un refus de sombrer, un combat intérieur vigoureux contre l’anéantissement, une sorte de remontée des enfers permanente, comme s’il fallait toucher le fond pour être animé, à nouveau, d’une infinie volonté de vivre, pour que demain soit rendu possible à travers nous, et même sans nous. Telle est la mission du semeur, et non celle du moissonneur. C’est seulement à cette condition que le fil de l’éducation peut se dérouler et nous mettre à la rencontre de tant de vies humaines, celles de nos élèves, dont chacune recèle un trésor, un filon.

« Attention au fil ! »

Si nous concevons notre engagement comme une vocation, alors suivons le précepte de Bernanos. « Toute vocation est un appel, et tout appel veut être transmis. »

Mais, pour entendre cet appel, nous avons encore besoin d’évoquer et d’invoquer la grâce, celle qui s’obtient par le dépouillement, celle qui cherche la vérité au milieu du mensonge, aux fins d’obtenir le Salut pour tirer l’humanité, et soi-même, de son mal prénatal.

Inspiré par la grâce, le fil du savoir et de la connaissance est rendu concret par l’inlassable soif et désir de transmettre. C’est probablement là un don parfait, celui qui permet de donner de son manque, car la grâce transite à travers nos doutes, nos failles. Et je cite encore l’auteur du Journal d’un curé de campagne : « O merveille, qu’on puisse ainsi faire présent de ce qu’on ne possède pas soi-même, ô doux miracle de nos mains vides ! L’espérance qui se mourait dans mon cœur a refleuri dans le sien. »

La grâce n’est pas l’apanage de quelques-uns, mais le don de tous, dès lors qu’on la préfère entre tout autre chemin. C’est alors que peut se dérouler le fil d’une Espérance infinie.  

31 août 2022

Thierry Fournier, Chef d’établissement Coordonnateur

Cours Maintenon

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