vendredi 4 janvier 2019
Lettre n°18 – Écoute deux fois plus que tu parles et réfléchis sans cesse
Le bulletin du premier trimestre
est tombé dans les boites aux lettres. Les appréciations se rangent plus ou
moins en deux catégories d’élèves ; les uns à qui l’on demande de bavarder
moins, et les autres à qui l’on conseille de participer davantage, autrement
dit de « s’exprimer ».
Suivant la définition qu’en donne
Le Grand Robert, s’exprimer c’est « rendre
sensible [quelque chose] par des signes, en en dégageant le sens ». S’il
s’agit de prendre la parole, l’exercice peut se révéler paralysant pour ceux qui
ne sont pas très à l’aise à l’oral. Comment donc trouver sa place dans un monde
où la parlotte a étendu son empire ! Il suffit d’allumer son téléviseur
pour entendre un bavardage en continu : chaines d’infos, publicités,
discussions fleuves où tout le monde parle et personne n’écoute. On joute, on
guerroie avec les mots. C’est à qui l’emportera. Les sophistes d’aujourd’hui ont
leur tribune et leur chaire attitrée, mais ils ne valent pas mieux que ceux
d’hier.
Un des préceptes de l’éducation
n’est-il pas d’apprendre à réfléchir avant de parler. En ce sens, c’est la
réflexion qui précède la parole, et non le contraire.
Cogito, ergo sum (je pense, donc je suis)
Je sais que les élèves de tous
âges s’intéressent à l’étymologie. Je commencerai donc par rappeler que le verbe
réfléchir vient du latin reflectere qui signifie « ramener
en arrière ». La réflexion est, en effet, un travail d’arrière-plan, qui
s’opère en profondeur dans notre esprit. René Descartes est peut-être le
premier à en avoir défini le concept dans ses écrits. Pour l’auteur du Discours de la méthode, « faire réflexion » consiste en un
retour de la pensée sur elle-même en vue d’examiner et d’approfondir telle ou
telle donnée de la conscience spontanée. La réflexion est comme une porte qui
s’ouvre sur l’introspection, la méditation, la pensée, dans une forme de
dialogue intérieur.
Selon une définition plus
moderne, celle du pédagogue Antoine de La Garanderie, la réflexion est le
quatrième geste mental, après l’attention, la mémorisation, la compréhension,
et avant l’imagination créatrice.
Je considère, pour ma part, que la
réflexion est le pendant de la pensée humaine, celle que l’on assimile à la
conscience, au fameux cogito, ergo sum.
En cela, elle ne saurait être réduite à un simple maillon de la chaîne mentale.
Le message du Penseur
Pour compléter ma propre réflexion
sur le sujet, je me retrouve devant l’impressionnante sculpture d’Auguste Rodin,
Le Penseur. Voilà un homme au corps
puissant et musculeux, en position assise, penché en avant, coudes et genoux
fléchis, visage incliné vers le bas, menton figé sur le dos de la main droite,
comme pour mieux signifier l’idée d’intériorité. En regardant l’œuvre d’un peu
plus loin, je m’aperçois que l’artiste a représenté son sujet dans une attitude
quasi fœtale, comme s’il avait voulu dire que la réflexion était la nature même
de l’Homme, sa condition.
La pensée est-elle donc le propre
de l’Homme comme le suggère Rodin ? Est-il possible d’imaginer que nos amies
les bêtes soient dotées d’une capacité de réflexion assimilable à celle de
l’être humain ? Sans vouloir esquiver la question, je dirai que les animaux,
surtout ceux qualifiés de « supérieurs », réfléchissent à leur
manière. Pour le reste, nous manquons certainement d’éléments de comparaison ou
d’arguments scientifiques.
Les multiples dons de l’expression
Entre les bavards et les
silencieux, chacun y va de son appréciation. Une personne qui a la parole
facile sera réputée ouverte, sociale et communicante (bien que parfois un peu
fatigante), tandis qu’une autre qui parle peu sera jugée réservée (voire timide
ou fermée) et impénétrable. A contrario,
parler beaucoup ne veut pas forcément dire qu’on réfléchit peu et parler peu
qu’on réfléchit beaucoup.
Pour ceux qui en douteraient, je
dirai que tous les élèves sans exception sont dotés d’une grande capacité à s’exprimer,
mais pas forcément de la même manière. Certains sont à l’aise à l’oral,
d’autres ont un bon coup de crayon, une voix qui chante juste, une oreille
musicale, un coup d’œil photographique, une main experte, une habileté du corps,
une imagination fertile ou encore une capacité à écrire. Chacun doit pouvoir
trouver son moyen d’expression favori.
Avant de cultiver l’oral à tout
prix, il est clair que notre système scolaire devrait mieux nourrir la
réflexion des élèves et favoriser les formes d’expression les plus diversifiées.
Habiter le silence
Enfin, réfléchir, c’est peut-être aussi habiter à l’intérieur de soi-même, comme nous l’enseigne Saint-Augustin. Le besoin de spiritualité, inhérent à l’Homme, peut conduire à une réflexion poussée, que les uns appelleront méditation et les autres prières, dans le silence et l’intimité de l’âme.
En conclusion, si l’on dit de toi
que tu es bavard(e), ou que tu ne réfléchis pas assez avant de parler, je
t’invite à suivre le bon conseil du Père Gilles, selon son mode humoristique habituel :
« Sais-tu pourquoi le Créateur t’a
donné deux oreilles et une bouche ? Pour écouter deux fois plus que tu
parles. »
Si l’on réclame que tu participes
davantage en classe, n’en sois pas complexé(e). Cherche d’abord à découvrir ton
mode d’expression favori, car tu as toi aussi des choses à dire et il te faut apprendre
à les exprimer par l’un ou l’autre des multiples dons que tu as reçus, mais que
tu ne connais pas encore. C’est alors, qu’au fil du temps, tu prendras confiance
en toi et que la parole viendra, à ton rythme.
Thierry Fournier