N°25 : Pourquoi je conseille aux élèves d’attendre leur entrée au lycée avant d’ouvrir un compte sur un réseau social ?

mercredi 6 janvier 2021

N°25 : Pourquoi je conseille aux élèves d’attendre leur entrée au lycée avant d’ouvrir un compte sur un réseau social ?

Je vous avais promis de donner une suite à ma lettre n°21 de janvier 2020 qui s’intitulait « A quel âge devient-on vraiment majeur ? ». Entre temps, la situation sanitaire m’a imposé un autre rythme et d’autres choix de sujets… Pourtant, la vie suit son cours et il ne faudrait pas perdre le fil. Alors, je reprends la plume…  

Lorsque je m’adresse aux élèves de 6ème, ainsi que je le fais chaque année, je n’ai aucune difficulté à leur expliquer qu’il faut respecter l’interdiction légale de s’inscrire sur un réseau social tant que l’on n’a pas atteint l’âge de 13 ans, et même 15 ans pour le respect des règles européennes liées à la protection des données (RGPD). Mais nous savons que, statistiquement, c’est plus d’un enfant sur deux de la tranche d’âge 11-12 ans qui gère son propre réseau social, assez souvent dans l’ignorance de ses parents.

Mon principal conseil, pour ceux qui n’ont pas encore mis le doigt dans l’engrenage des réseaux sociaux, c’est d’attendre leur entrée au lycée. Voici pourquoi.

La vie privée doit rester privée

Depuis l’avènement des réseaux sociaux en 2006 avec Twitter et Facebook, nous avons aujourd’hui suffisamment de recul pour affirmer que les jeunes de moins de 15 ans manquent de maturité pour gérer correctement leur service de partage ; non pas qu’ils ne sachent pas techniquement l’utiliser, bien au contraire…

Le problème principal réside dans la confusion entre vie privée et vie publique. Combien d’enfants et de jeunes publient innocemment le récit et les photographies de leur vie quotidienne (famille, amis, animal de compagnie, vacances, intimité amoureuse…), étalant ainsi, dans la nébuleuse du Cloud, leur vie privée, celle des membres de leur famille ou de leur cercle d’amis, au mépris le plus élémentaire du droit à l’image, voire de leur propre sécurité ?

4 milliards d’individus sur Terre sont actuellement actifs sur les réseaux sociaux. Chacun d’eux gère en moyenne trois comptes différents. Le taux de pénétration est particulièrement fort en Amérique du Nord et en Europe Occidentale. La France n’est pas en reste…

Une nourriture psychique

Si les réseaux sociaux sont aussi bien rentrés dans les mœurs c’est qu’ils constituent une nourriture psychique qui donne l’illusion aux utilisateurs d’être aimés (les « amis » sur Facebook), suivis (les « followers » sur Twitter), et conduits vers un idéal paradisiaque dont Instagram s’est fait le champion. Dans cette culture hyper-narcissique faite de selfies et de beautés parfaites, on aime pour être aimé, on suit pour être suivi, et on devient finalement spectateur de la vie des autres.

Pas étonnant que le cœur de cible soit les adolescents qui, en pleine construction de leur identité, ont un vif désir d’exister et d’être reconnus. Pourtant, la déception est vite au rendez-vous lorsque les « j’aime » se font attendre… C’est alors que grandit un irrésistible sentiment de frustration, voire une image dégradée de soi, car le jeune garçon ou la jeune fille qui se regarde dans son miroir ne voit souvent que ce qu’il croit être ses défauts (trop grand, trop petit, les boutons sur le visage, les kilos en trop, les cheveux trop raides ou trop frisés, les bras pas assez musclés, le bassin trop large, la poitrine trop grosse ou trop petite…). Pour ma part, je voudrais leur dire que ce qu’ils jugent être leurs défauts physiques ne sont en fait que les particularités de leur personne, et c’est précisément cela qui les rend uniques. Mais je suis bien conscient que les ados ne voient pas tout à fait les choses comme ça, d’où la nécessité de bien les protéger.

Des catalyseurs de haine

Car les réseaux sociaux ne sont pas que des marchands de rêves. Ils peuvent aussi se muer en catalyseurs de haine. On y chasse en meute via les messages groupés, on encercle sa proie pour ne plus la lâcher, jusqu’à la mise à mort parfois. Les plus jeunes n’ont pas forcément conscience de l’impact que peuvent représenter leurs messages humiliants quand ils stigmatisent un individu en particulier. La mort tragique de « Marion, 13 ans pour toujours », retrouvée pendue à la suite d’un cyberharcèlement continu de la part de ses camarades, quelque part dans un petit collège tranquille de France, a laissé ses jeunes agresseurs ahuris et dans un état psychologique d’irresponsabilité (relire sur le sujet ma lettre n°1 du 03 octobre 2016 « lutter contre le harcèlement »).

Tous ces jeux douteux, simples méchancetés ou règlements de comptes par écrans interposés sont souvent le reflet d’une immaturité liée à l’âge. Ils peuvent pourtant entraîner les pires conséquences sur les adolescents les plus vulnérables. Les établissements scolaires sont régulièrement confrontés aux effets de ces violences dématérialisées. Parfois même les choses dérapent, et les protagonistes se retrouvent au commissariat ou à la brigade de gendarmerie, en attendant la sentence d’une justice littéralement débordée…

Un établissement scolaire n’a pas vocation à couper les élèves de la société mais à les y préparer

Les parents ne savent pas toujours si leur enfant est actif sur un réseau social. Ils contrôlent généralement peu la chose et encore moins son contenu. De son côté, l’établissement scolaire n’a pas vocation à s’ingérer dans les choix des parents dans ce domaine. Mon rôle, et celui de ces lettres en particulier, est d’éclairer les jeunes et de donner aux familles, et aux éducateurs en général, des clés de compréhension, voire de nourrir la réflexion dans une logique de saine prévention. 

Il ne s’agit pas de bannir les réseaux sociaux dans leur ensemble mais de préparer les jeunes à leur utilisation responsable et raisonnée. En cela, je ne puis que leur conseiller d’attendre l’entrée au lycée, c’est-à-dire plus ou moins l’âge de 15 ans, avant d’ouvrir un compte sur un réseau social.

Thierry Fournier, Chef d’établissement Coordonnateur

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